mediapart

Partagez cet article sur les réseaux sociaux

Repensons l’accueil des mineurs étrangers !

Publié le jeudi 29 juin 2017

J’adresse, avec Anne Hidalgo, une lettre ouverte à Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, Nicole Belloubet, ministre de la Justice et Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à propos de la saturation du dispositif d’accueil des jeunes migrants : il nous faut repenser nos dispositifs afin de pouvoir garantir le droit des enfants tel que le prévoit la Convention internationale des droits de l’enfant.

Mesdames les ministres, monsieur le ministre,

Au titre de leurs compétences en matière de protection de l’enfance, les Départements prennent en charge les jeunes mineurs. La Seine-Saint-Denis et Paris ont ainsi développé des modes d’accueil innovants et responsables, prenant notamment en compte le parcours migratoire particulièrement traumatique de ces enfants en les accompagnant vers un projet social et professionnel durable.

Ce travail indispensable est aujourd’hui menacé par une saturation totale du dispositif liée à une très forte hausse du nombre de jeunes migrants arrivants en Seine-Saint-Denis et à Paris.

La Ville de Paris accueille ainsi au 31 décembre 2016 environ 600 mineurs confiés en accueil pérenne et 700 jeunes majeurs isolés étrangers. Il faut y ajouter plus de 300 jeunes mis à l’abri chaque soir en attente d’évaluation et 200 jeunes confiés dans l’attente d’une décision définitive du juge des enfants. Cela représente un budget de plus de 80 millions d’euros pour la seule année 2017. Fin 2016, en Seine-Saint-Denis, ce sont 744 enfants qui étaient pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, quand ils n’étaient que 457 fin 2015. Ils sont aujourd’hui près de 900, et pourraient être 1200 en fin d’année. Les dépenses devraient plus que doubler en deux ans pour s’élever en 2017 à 42 millions d’euros.

Depuis plusieurs années, nos départements ont travaillé avec l’Etat autour de la construction d’un dispositif de répartition nationale, consacré par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. La reconnaissance d’un tel dispositif de répartition a constitué une avancée incontestablement positive. Néanmoins, le fragile équilibre trouvé est complètement bouleversé par l’ampleur de la crise migratoire. Il nous faut repenser nos dispositifs afin de pouvoir garantir le droit des enfants tel que le prévoit la Convention internationale des droits de l’enfant.

C’est pourquoi, nous vous proposons aujourd’hui trois évolutions concrètes pour améliorer l’accueil des mineurs isolés :

1. La centralisation par l’Etat du dispositif d’évaluation et de mise à l’abri d’urgence des jeunes migrants, afin de leur assurer un accueil et une évaluation de qualité égale sur l’ensemble du territoire national. Cette évolution pourrait s’appuyer sur la création de plateformes d’évaluation et de mise à l’abri par l’État afin d’assurer une évaluation complète de la situation de l’intéressé mobilisant l’ensemble des compétences régaliennes, comparables à celles menées dans le cadre de l’examen des demandes d’asile par l’OFPRA.

2. L’attribution de moyens suffisants aux départements pour mettre en place un accueil pérenne des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance.

En effet, la situation actuelle appelle un mécanisme de solidarité nationale pour financer l’accroissement de la prise en charge intervenue depuis cette date. Ce mécanisme pourrait s’inspirer du modèle anglais où, sans remettre en cause la décentralisation de la protection de l’enfance, l’Etat a attribué une compensation financière aux autorités locales pour chaque prise en charge (ainsi dans le comté du Kent, 800 livres/semaine pour un jeune de 16/17 ans, soit plus de 40000 € par an).

3. La prise en charge immédiate par l’Etat des jeunes qui ne sont pas reconnus mineurs, mais qui doivent bénéficier d’une attention particulière en tant que jeunes majeurs, par la mobilisation des services d’hébergement ou de prise en charge des demandeurs d’asile.

Nous sommes aujourd’hui prêts à investir toutes nos compétences pour accueillir ces enfants et adolescents à qui l’on se doit d’apporter notre protection. C’est à la double condition d’une meilleure articulation des compétences et d’une plus juste répartition financière que les départements pourront assumer ce rôle socio-éducatif essentiel.

Nos collectivités veulent retrouver les moyens d’innover et d’adapter leur prise en charge, en développant des modes d’accueil adaptés aux besoins spécifiques de ces enfants, d’ores et déjà expérimentés ou travaillés : accueil en semi-autonomie, articulation forte avec les dispositifs d’insertion socio-professionnels, mais aussi systèmes de parrainage.

Mesdames les ministres, Monsieur le ministre, accueillir dignement ces jeunes est un enjeu de société majeur pour la France et au-delà pour l’Europe. Un tel engagement politique, humain et financier, nécessite une réponse cohérente à un niveau local et national. Nous sommes vos partenaires et souhaitons travailler à l’efficacité du dispositif et à la mise en œuvre de solutions nouvelles.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Mesdames, Monsieur, à notre fort engagement pour nos territoires et pour la protection de ces enfants.

Anne Hidalgo, maire de Paris et Stéphane Troussel, président du Département de Seine St Denis