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Badinter au Panthéon : la politique au service de la dignité humaine

Publié le jeudi 9 octobre 2025

Ce 9 octobre 2025 entre au Panthéon une grande figure de la République, une voix puissante de la justice : Robert Badinter.

Et dans le marasme politique actuel, le moins que l’on puisse dire est qu’il est réconfortant d’honorer et de retracer le parcours d’une personnalité publique d’une rectitude sans faille, qui a mis tout son talent et toute sa force de conviction dans un combat historique : celui de l’abolition de la peine de mort.

Robert Badinter, c’est la trajectoire d’un intellectuel, d’un juriste surdoué, qui entre dans l’arène politique pour servir une cause juste, s’élevant au-dessus des petites querelles partisanes. C’est la politique au sens noble du terme, celle qui prend de la hauteur pour marquer l’histoire et améliorer le sort de l’humanité.

Mais Robert Badinter, c’était aussi une voix, reconnaissable entre toutes, passant du calme d’une démonstration parfaitement maîtrisée à l’indignation tempétueuse, vibrante, qui touche au plus profond de l’âme. Une voix d’une exceptionnelle ampleur parce qu’elle était emplie du tragique de l’Histoire, un tragique qui avait frappé de plein fouet son histoire personnelle.

J’ai eu la chance d’entendre cette voix une fois dans ma vie, en 1992, lors de la commémoration du 50e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. Robert Badinter avait alors laissé éclater sa colère, dans un discours devenu célèbre. Ulcéré par les sifflets et les invectives qui avaient accompagné l’arrivée de François Mitterrand, dans un moment qui commandait la dignité et le recueillement, Robert Badinter, le fils de déporté, avait alors poussé ce cri déchirant : « Vous m’avez fait honte ! Il y a des mots où il est dit dans La Parole : les morts vous écoutent ! Croyez-vous qu’ils écoutent… ça ? ».

Et, alors que quelques applaudissements se faisaient entendre, il poursuivit : « Je ne demande rien, aucun applaudissement. Je ne demande que le silence que les morts appellent. » C’était comme si la foudre venait de s’abattre. Nous étions tous sidérés et pleins d’admiration devant la force du verbe et l’intensité émotionnelle que venait de déployer l’ancien Garde des sceaux.

Robert Badinter tirait très probablement cette force des drames de sa vie, qui furent ceux des Juifs d’Europe pendant la Shoah. Son père, juif de Bessarabie, qui avait fui les pogroms de la Russie tsariste pour trouver refuge dans la patrie de Zola et des Droits de l’homme, fut finalement arrêté en 1943, déporté à Drancy puis tué au camp de concentration de Sobibor. Ironie de l’histoire : c’est Klaus Barbie, chef de la gestapo lyonnaise, qui a signé l’ordre de déportation de son père, et c’est Robert Badinter, qui, comme Garde des sceaux à l’époque de son arrestation, veillera à ce qu’il soit jugé et détenu à la prison de Montluc, là où le même Klaus Barbie, le « boucher de Lyon », avait emprisonné et torturé Jean Moulin.

Après la guerre, Robert Badinter et sa famille retrouvent leur appartement occupé par un collaborateur, qui s’oppose à leur retour. S’ensuivra un long et douloureux procès, au cours duquel le jeune Badinter entendra des propos ignobles au sujet de sa famille. On comprend mieux la soif inextinguible de justice qui animera toute sa vie Robert Badinter et sera le moteur de son engagement politique.

Ce dernier trouve son acmé quand il devient Ministre de la Justice en 1981 et porte une loi qui change définitivement la face de la justice en France. Robert Badinter sera à jamais l’homme de l’abolition de la peine de mort. Il a fait de ce combat une affaire personnelle depuis qu’il n’a pu sauver, comme avocat, Roger Bontems, exécuté en 1972. Il gardera toute sa vie en tête « le claquement sec de la lame sur le butoir ». Quand il proclame en 1981 l’abolition de la peine de mort, et qu’il prononce ces mots, « demain, grâce à vous, la justice ne sera plus une justice qui tue », sept condamnés à mort sont encore dans les prisons françaises.

Il faut se souvenir de l’immense courage que demanda un tel engagement. Le courage d’aller à l’encontre de la majorité de l’opinion publique d’alors. Le courage de faire face au torrent de haine que déversèrent sur lui les oppositions, qui le surnommaient « l’avocat des assassins »… Mais il tint bon.

Robert Badinter fut tout au long de son parcours un inoxydable défenseur des droits humains, de la dignité humaine, dans des combats parfois plus méconnus : la réforme de la prison pour améliorer les conditions de détention, la suppression du délit d’homosexualité ou encore la création du tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie.

C’est bien un grand homme qui entre aujourd’hui au Panthéon. Puisse cette incarnation d’un engagement entier, d’une droiture intellectuelle, d’un souci constant d’élèvement de l’âme humaine, nous guider dans ce contexte de bouleversement des repères et de turpitudes politiciennes.