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Et si le ministre de l’Intérieur cessait de faire sa communication politique sur le dos des musulmans ?

Publié le mardi 27 mai 2025

C’est une grossière – et dangereuse – opération de communication à laquelle nous assistons ces derniers jours avec la sortie du rapport sur les « Frères musulmans ».

La séquence politique a été savamment orchestrée par le Ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, avec un but : occuper le devant de la scène médiatique en alimentant, encore et toujours, un climat de défiance généralisée à l’encontre de nos concitoyens de confession musulmane.

Il ne s’agit évidemment pas pour moi de balayer ici d’un revers de main les atteintes à la laïcité quand il y en a, ou bien de minimiser les risques que peuvent faire peser sur notre société les fondamentalismes religieux, tous les fondamentalismes religieux de quelque religion qu’ils soient. Mais il est nécessaire de bien mettre au jour les ressorts de cette instrumentalisation politique du sujet, qui peut être lourde de conséquences.

Car il fallait entendre les superlatifs dont usait le Ministre de l’Intérieur pour faire la promotion du rapport : ce dernier serait « édifiant », « accablant », et mettrait en lumière une organisation dont « l’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia ». Rien que ça !

La réalité est que le rapport est bien moins alarmiste que la traduction apocalyptique qu’en fait Bruno Retailleau. Le rapport dit noir sur blanc qu’« aucun document récent ne démontre la volonté de «  Musulmans de France » (anciennement l’UOIF, organisation qui déclare une filiation avec la pensée des Frères musulmans) d’établir un État islamique en France ou y faire appliquer la charia ». Les chiffres, une fois mis en perspective, montrent à l’inverse un reflux de l’influence de la confrérie. Elle compterait « entre 400 et mille » membres, et 139 lieux de cultes affiliés, soit 7% des mosquées, quand, à la fin des années 1990, elles étaient 250. On est loin d’une hydre islamiste, présente partout, conquérante, prête à renverser la République !

Est-ce à dire qu’il faudrait rester les bras croisés devant les pressions – parfois réelles – de certains extrémismes religieux pour imposer leur vision de la société ? Bien évidemment que non ! Mais en fantasmant le complot d’une organisation que le rapport lui-même dit déclinante, on passe à côté des véritables dynamiques de radicalisation aujourd’hui, qui sont plus individuelles et se construisent notamment via les réseaux sociaux. On voudrait également que les grands défenseurs autoproclamés de la laïcité soient aussi inflexibles quand le lycée catholique privé Stanislas est pointé du doigt pour des faits sexistes, racistes et homophobes…

Mais le souci du Ministre de l’Intérieur est-il celui de la vérité et de l’équité pour protéger les Françaises et les Français ? Force est de constater qu’il est bien plus occupé aujourd’hui à les diviser, tout ça au service de sa gloriole médiatique. Ne soyons pas dupes : après avoir crié à la tribune d’un meeting « à bas le voile ! », Bruno Retailleau, et dans son sillage toute une partie de la droite que l’on disait républicaine, ont fait des attaques antimusulmanes leur fonds de commerce politique.

Mais cette instrumentalisation politicienne a de graves conséquences. Elle crée une ambiance insupportable de soupçon généralisé à l’égard de nos concitoyens de confession ou de culture musulmane. C’est d’une immense brutalité pour toutes celles et tous ceux qui aspirent simplement, tranquillement, à vivre leur foi. C’est une violence quotidienne pour toutes celles et tous ceux que l’on ne cesse de ramener à leur appartenance religieuse, qu’elle soit réelle ou supposée.

Il n’y a qu’à voir la polémique proprement hallucinante déclenchée par la tenue à Cannes de l’influenceuse Léna Situations, accusée de faire de l’« entrisme » Frère musulman ! Cet épisode est révélateur. Quoi qu’ils ou elles fassent, les musulmans et les musulmanes seront toujours pour certains entourés d’un halo de suspicion. Hier, ils et elles étaient taxés de « séparatisme » : on leur reprochait leur soi-disant non intégration, leur repli communautaire. C’est désormais l’inverse : quand ils et elles font du sport, quand ils et elles entreprennent, quand ils et elles font de la politique, on les accuse de faire de l’« entrisme ». A chaque fois, le sentiment est donné qu’au fond, il existerait des citoyennes et des citoyens de seconde zone, sous surveillance.

C’est pourquoi ces manœuvres, qui soufflent sur les braises de la haine antimusulmane pour de vulgaires « gains » politiques, sont extrêmement dangereuses. Elles font monter irrémédiablement les tensions dans notre société. Elles contribuent à renforcer le sentiment de relégation chez toute une partie de la population, et donc la tentation du repli sur soi. Elles exacerbent les fractures de notre pays. Elles sont enfin – il faut le rappeler – en contradiction avec l’essence même de la loi de 1905 qui n’a jamais été pensée pour être un instrument de combat contre les religions mais au contraire pour garantir la liberté de culte.

La sociologue Agnès De Féo parlait d’un « effet boomerang » de la multiplication des lois coercitives visant les musulmans : elles sont contre-productives car elles ont pour conséquence de décupler en réaction l’expression visible de l’islam dans la société, au lieu de l’effacer. Plus des personnes sont attaquées en raison de leur appartenance religieuse, plus elles ont tendance à se raidir sur cette question.

La République ne l’emporte pas en brimant, en stigmatisant, en humiliant. Elle l’emporte, et l’a toujours emporté, en gagnant les cœurs. Elle l’emporte avec un récit généreux, universel, qui n’exclue personne. Elle l’emporte d’abord et surtout en accomplissant sa promesse de liberté, d’égalité, de fraternité. Or, quand dans des quartiers populaires les services publics s’effondrent, le travail se précarise et le logement se raréfie, alors c’est la République qui recule. Quand, en Seine-Saint-Denis, l’école n’accueille plus la mixité sociale et les élèves perdent un an de scolarité à cause des absences de professeurs non remplacés, c’est à la fin la République qui recule. Faisons d’abord en sorte qu’aux oreilles de notre jeunesse la devise républicaine ne sonne pas parfois aussi creux.

En ces temps difficiles, il est de notre devoir, en tant qu’élu.e, d’avoir des paroles réconfortantes et apaisantes. Et de rappeler une chose simple : non, la France, la République, la laïcité, ce n’est pas le visage grimaçant et cynique de certains politiciens de droite et d’extrême-droite. Non, la République ne trie pas parmi ses enfants en fonction de leur origine, de leur couleur de peau ou de leur religion réelle ou supposée.