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Ma lettre ouverte à Elisabeth Borne, Première ministre

Publié le vendredi 6 octobre 2023

Madame la Première ministre,

Elus locaux, associations, bailleurs sociaux, acteurs du secteur du bâtiment et de l’immobilier ne cessent de le répéter sur tous les tons : la crise du logement est une bombe sociale à retardement. Tous les indicateurs sont au rouge et laissent à penser que l’acmé du choc est encore devant nous : baisse drastique de la construction de nouveaux logements, une accession à la propriété complètement grippée avec l’envol des taux ou encore un poids du logement dans le budget des Français qui explose avec la flambée des prix de l’énergie. Il est à craindre que cette situation catastrophique débouche sur la prochaine crise sociale comme ce fut le cas en Allemagne ou en Espagne.

Premier poste de dépense des Françaises et des Français, le logement n’est pas un bien comme un autre :  il est nécessaire pour être en bonne santé, pour la stabilité de l’emploi, pour les équilibres familiaux, pour étudier dans de bonnes conditions, pour la mixité sociale dans nos villes et nos territoires. Il est donc à la confluence de tous les immenses défis auxquels notre société doit faire face.

Mais force est de constater que tout au long du dernier quinquennat, le logement n’a été envisagé que comme une simple variable d’ajustement budgétaire, une ligne comptable à dégraisser. La dépense pour le logement en France est passée, entre 2016 et 2021, de 42 à 35 milliards d’euros, alors que, dans le même temps, les recettes fiscales augmentaient de 20 milliards pour passer de 68 à 88 milliards d’euros ! Il existe donc bel et bien des marges de manœuvre pour investir massivement en ce domaine.

Alors que s’achève le congrès de l’USH, il est à rappeler qu’au premier rang des coupes réalisées figure la ponction considérable faite sur les organismes HLM, soit près de 10,43 milliards d’euros en cinq ans. Avec une conséquence dramatique : l’affaissement de la construction de logement sociaux. En 2024, il est prévu seulement 70 000 agréments de logements sociaux, un des chiffres les plus bas depuis 25 ans. Pourtant, les besoins sont immenses – et croissants – puisque désormais près de 2,3 millions de ménages sont en attente d’un logement social. Une étude de l’USH montre qu’il faut produire ou remettre sur le marché 500 000 logements par an, dont près de 200 000 logements sociaux, jusqu’en 2040.

À l’asphyxie du logement social s’ajoute celle de l’hébergement d’urgence. La saturation de l’offre d’hébergement d’urgence connaît un niveau historique. L’absence de solutions de logement de droit commun maintient les personnes sur des places d’hébergement censées être temporaires. L’absence de volontarisme de la part de l’Etat pour ouvrir des places dans des territoires peu pourvus entraîne l’embolie de l’hébergement d’urgence dans ceux qui, comme Paris et la Seine-Saint-Denis, concentrent 65% de l’offre d’hébergement d’urgence. Le mardi 12 septembre dernier, d’après les données du 115 en Seine-Saint-Denis, sur 510 demandes d’aide ce jour, aucune personne n’a pu être mise à l’abri. Parmi ces demandes se trouvaient 36 femmes enceintes et 202 enfants mineurs

Le Conseil national de la refondation aurait pu être un électrochoc avec des propositions concrètes venant des acteurs du logement. Mais la montagne a malheureusement accouché d’une souris. Et aujourd’hui encore, les mesures annoncées à Nantes, si elles sont bonnes à prendre pour les opérateurs, resteront largement insuffisantes pour enrayer la crise – violente – qui s’annonce. Quant aux annonces faites par le gouvernement autour d’un « choc de décentralisation », c’est – je le crains – une autre manière de se défausser de ses responsabilités sur les collectivités locales. Après avoir créé le chaos, le gouvernement laisse le soin aux élus locaux, sans moyens supplémentaires et « à portée de baffes », de le gérer ! En attendant, il est à déplorer qu’aucune autre mesure d’ampleur ne soit pour le moment envisagée.

La Seine-Saint-Denis, département populaire où le taux de pauvreté est deux fois supérieur à la moyenne nationale, risque une nouvelle fois de payer le prix fort de cette crise du logement, au même titre que les autres crises que nous avons dû et que nous devons encore affronter : pandémie, inflation ou encore affaiblissement des services publics, en premier lieu l’école. Tous les éléments se conjuguent pour que le mal-logement frappe plus durement dans notre département : la démographie, avec le département le plus jeune de France métropolitaine et qui connaît une forte augmentation de sa population ; un foncier à proximité de Paris qui est de plus en plus rare et cher ; une forte concentration des programmes de rénovation urbaine qui peinent à sortir de terre, avec les difficultés financières des bailleurs sociaux et des subventions ANRU qui ne sont pas réajustées en fonction de la hausse des coûts des projets. Le cocktail est donc explosif, avec toutes les conséquences sociales et économiques que nous connaissons.

Il y a donc urgence : nous devons changer de logiciel en matière de politique du logement. Au même titre que l’éducation et la santé, je considère que l’accès au logement fait partie de ces biens et services si essentiels à la vie qu’ils doivent être sortis d’une logique purement marchande et spéculative. La puissance publique doit donc revenir au centre du jeu, parce qu’elle seule dispose du pouvoir de régulation et de la puissance d’investissement nécessaire pour agir de manière structurelle et durable.

Nous pouvons, en France, nous appuyer notamment sur un modèle qui nous est envié en Europe : le logement social. Il est urgent de lui redonner du crédit et des capacités d’action. Cessons de lui accorder des miettes, et renouons avec sa philosophie généraliste, au lieu de cette volonté subreptice actuelle d’en faire une solution résiduelle uniquement pour les personnes les plus précaires.

Madame la Première ministre, au vu de l’immensité des enjeux, le logement doit désormais devenir une priorité politique de votre mandat, sans quoi vous faites courir un péril grave à la cohésion de notre société.