Demain, soyons dans la rue pour faire reculer une réforme des retraites injuste et brutale !
Publié le mardi 17 janvier 2023
C’est un véritable tour de passe-passe qu’a réalisé le 10 janvier dernier Elisabeth Borne lors de la présentation de son projet de réforme des retraites. A l’entendre, une réforme de régression sociale s’avère être une réforme de « progrès », une réforme profondément inégalitaire devient une réforme de « justice » et une réforme brutale se transforme en une mesure d’« équilibre ».
Mais, derrière l’écran de fumée des éléments de langage du gouvernement, le fond de l’affaire ne change pas : l’âge légal de départ à la retraite est repoussé à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation est accéléré.
C’est une réforme profondément injuste. Tout d’abord parce qu’elle frappera davantage les classes populaires et les classes moyennes, qui ont commencé leur carrière plus tôt, sur des métiers souvent plus pénibles, plus usants physiquement et psychiquement, et qui devront travailler plus longtemps pour toucher une retraite pleine. Ensuite parce que l’allongement accéléré de la durée de cotisation aura pour effet mécanique de baisser les pensions des personnes ayant une carrière incomplète. C’est particulièrement le cas chez les femmes, qui touchent déjà des pensions plus faibles, 40% de moins que les hommes.
C’est aussi une réforme brutale. Parce qu’elle aura pour conséquence d’allonger la période de précarité de celles et ceux qui, avant d’arriver à la retraite, ne sont plus en emploi – c’est près de 4 personnes sur 10 – et passent par la case chômage, RSA, inactivité ou encore Allocation de solidarité spécifique. Cet appauvrissement a d’ailleurs été observé lors du dernier report de l’âge légal. Et sans surprise, cela concerne particulièrement les ouvriers et les employés.
La population de Seine-Saint-Denis, territoire populaire et département le plus pauvre de France métropolitaine, paiera le prix fort de cette réforme. C’est ici que l’on a trouvé pendant la crise sanitaire beaucoup de ces métiers mal rémunérés, mal reconnus, aux conditions de travail difficiles, et qui ont pourtant continué à faire tourner le pays : caissières, auxiliaires de vie, livreurs ou encore manutentionnaires. Hier nous les applaudissions, demain ils devront partir plus tard à la retraite.
Pour masquer cette réalité, le gouvernement noie le poisson, nous embrouille avec des détails techniques et argue des prétendues avancées.
L’amélioration du dispositif « carrière longues » ? Du pipeau ! L’âge de départ est reporté à 62 ans pour celles et ceux qui ont commencé à travailler entre 18 ans et 20 ans, alors qu’ils peuvent partir aujourd’hui à 60 ans !
La pension minimale à 1200 euros pour tous les retraités ? De l’enfumage ! Cela ne concernera que ceux qui ont une retraite complète au niveau du SMIC et c’est par ailleurs une disposition inscrite dans la loi depuis 2003 mais encore jamais appliquée.
Une meilleure prise en charge de la pénibilité ? Le grand flou ! Et comment croire un gouvernement qui en 2017 s’est empressé de supprimer quatre critères de pénibilité aussi importants que le port de charges lourdes ou les postures pénibles ? Comment faire confiance à des gens qui ont fait l’étalage de leur déconnection en parlant d’exosquelettes chez les déménageurs et de genouillères chez les carreleurs pour expliquer une baisse de la pénibilité ?
Les Françaises et les Français ne sont pas dupes et rejettent massivement la réforme : 80% de la population est opposé au recul de l’âge légal de départ à 64 ans. C’est du bon sens. Parce que la sage-femme qui enchaîne les gardes de nuit dans un hôpital public, qui doit gérer des urgences vitales, sait qu’elle n’aura plus l’énergie nécessaire à 64 ans pour exercer de la même façon son métier. Parce que l’ouvrier dans le bâtiment, qui a commencé à 18 ans, qui à 50 ans a déjà le dos cassé, sait ce que cela signifie pour lui et pour sa santé deux ans de plus à tirer.
Pourquoi alors une telle réforme ?
Politiques, experts et éditorialistes, qui pour beaucoup ont une vision abstraite d’un métier pénible, reprennent en chœur un refrain bien connu : « nous vivons plus vieux, donc nous devons travailler plus longtemps ! » C’est oublier que l’espérance de vie en bonne santé stagne depuis 10 ans, autour de 63 ans pour les hommes, et 64 ans pour les femmes. C’est occulter aussi l’ampleur des inégalités sociales face au vieillissement. Rappelons que l’écart d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier est de 7 ans. C’est enfin ne pas dire que la durée de vie à la retraite recule déjà du fait des réformes précédentes ! Quelqu’un qui part à la retraite aujourd’hui aura un an de retraite en moins que quelqu’un qui est parti il y a dix ans. Et cela va empirer dans les années à venir.
Autre argument martelé par le gouvernement : cette réforme est nécessaire parce que notre système de retraite serait au bord de la faillite. C’est un mensonge ! Le système est aujourd’hui excédentaire et le Conseil d’orientation de retraites (COR) écrivait en septembre dernier qu’il n’y avait pas de « dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ». Et même si l’on prend pour argent comptant l’alarmisme surjoué du gouvernement, d’autres solutions plus justes existent pour financer des déficits qui seraient temporaires, légers (environ 3% des 330 milliards du système des retraites) et qui ne sont rien d’autre que le fruit de réformes passées baissant le financement de la sécurité sociale. Pourquoi ne pas revenir sur les exonérations de cotisations sociales les plus inutiles (2 milliards par an), annuler la suppression de la CVAE (8 milliards par an à partir de 2024), ou tout simplement revenir sur les cadeaux aux plus riches en rétablissant l’Impôt sur la fortune et la flat tax (4 à 5 milliards par an) ?
En réalité, le gouvernement poursuit un seul objectif à travers cette réforme, moins avouable : faire des économies sur le dos des plus modestes pour financer la baisse des impôts accordée aux entreprises, et qui profitent surtout aux grands groupes. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans le projet de loi de finances 2023 et dans le programme de stabilité envoyé à la commission européenne en juillet dernier. Bruno Le Maire lui-même, sur France Inter le 27 septembre dernier, exhortait le MEDEF à soutenir la réforme des retraites « avec enthousiasme, avec détermination. C’est 8 à 9 milliards d’économies au bout du quinquennat ! ».
Mais derrière ces considérations purement comptables, ce qui est en jeu est plus profond et engage le modèle de société dans lequel nous voulons vivre : c’est la sauvegarde de notre système de retraite par répartition et c’est la place que nous accordons dans nos vies au travail.
Cette réforme est un étage supplémentaire à un édifice de réformes qui, depuis les années 90, visent à ne pas dépenser plus d’argent dans notre système de retraites alors même que le nombre de retraités va augmenter. Les projections du COR sont claires : elles annoncent une baisse continue du niveau de vie des retraités. Celui-ci pourrait redescendre, d’ici quelques décennies, au niveau auquel il était dans les années 1980 ! Cet effondrement des pensions conduira inévitablement à une progression de la retraite par capitalisation : celles et ceux qui en auront les moyens mettront leur argent dans des plans d’épargne retraite, gérés par des fonds de pension qui regardent avec envie cette immense manne. Pour les autres, bon courage ! Voulons-nous conserver un système de retraite qui nous permet d’afficher l’un des taux de pauvreté des retraités les plus faibles du monde ou voulons-nous le déconstruire pour copier sur les voisins ? Rappelons par exemple que l’Allemagne a trois fois plus de retraités pauvres qu’en France.
L’autre sujet fondamental, presque philosophique, concerne la valeur que nous donnons à cette « troisième vie » qu’est la retraite. Sommes-nous prêts à rogner sur ces années paisibles après une dure vie de labeur ? Sommes-nous d’accord pour sacrifier ce temps consacré à s’occuper de nos petits-enfants, à s’investir dans des associations, à se dédier à nos passions ? Sommes-nous uniquement des êtres qui se définissent par leur productivité et leur consommation ? Cette interrogation est au fondement de l’histoire du progrès social, qui a toujours été une lutte pour gagner du temps de vie sur le temps de la production. Elle est encore plus prégnante à l’aune de l’urgence climatique qui nous oblige à revoir notre modèle économique.
La gauche a joué un rôle décisif dans ce combat : la semaine de 40 heures et les congés payés du Front populaire, la retraite à 60 ans et la cinquième semaine de congés payés du premier septennat de Mitterrand ou encore la loi sur les 35 heures de Martine Aubry. Un autre combat s’annonce maintenant : contrer le gouvernement sur cette réforme des retraites. Le premier rendez-vous aura lieu demain, le 19 janvier, avec la journée organisée par l’intersyndicale.
Pour la première fois depuis dix ans, l’ensemble des syndicats présentent un front uni. La gauche aussi est rassemblée et fait bloc contre ce projet. Une vaste et puissante mobilisation pourrait faire reculer le gouvernement, comme en 2019 contre la précédente réforme des retraites, et comme en 1995 contre le plan Juppé. Les Françaises et les Français n’ont pas donné un blanc-seing à Emmanuel Macron en 2022. Beaucoup ont voté pour faire barrage à Marine Le Pen. Il ne s’agit pas de remettre en cause la légitimité de son élection. Mais cette assise électorale fragile devrait le conduire à réfléchir à deux fois avant de lancer une réforme à laquelle une très grande majorité est opposée.
Alors, demain, rappelons-lui et soyons toutes et tous dans la rue pour stopper cette réforme injuste et brutale !
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