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En Seine-Saint-Denis, nous consacrons plus de 270 millions d’euros à la protection de l’enfance. Nous attendons que l’État en fasse de même.

Publié le jeudi 14 février 2019

A l’occasion de la venue d’Adrien Taquet et de Christelle Dubos, secrétaires d’Etat, ainsi que d’Olivier Noblecourt, délégué interministériel chargé de lutter contre la pauvreté, j’ai interpellé le gouvernement au sujet de ses propres manquements en matière de protection de l’enfance. En Seine-Saint-Denis, nous consacrons plus de 270 millions d’euros à la protection des enfants, et afin de leur permettre d’avoir un avenir heureux. C’est notre priorité. Nous attendons maintenant que l’État en fasse de même.

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le délégué interministériel, cher Olivier,

Cher Frédéric Molossi, Vice-Président chargé de l’enfance et de la famille,

Mesdames et Messieurs les élu.e.s, collègues des autres Départements,

Permettez-moi de saluer particulièrement les jeunes engagé.e.s dans un travail complexe et au résultat de qualité utile à notre action collective,

Comme vous le savez, j’ai accepté d’engager le Département dans la Stratégie Pauvreté mise en œuvre par le gouvernement. D’abord, car il n’y a pas de petites économies – voilà pour le clin d’œil à nos discussions budgétaires – ensuite parce qu’il aurait été invraisemblable que le Département le plus pauvre et le plus jeune de France Métropolitaine n’y participe pas et enfin parce que nous déployons déjà de nombreuses démarches de prévention de la pauvreté en tant que chef de file de l’action sociale.

J’en veux pour preuve le sujet qui nous réunit aujourd’hui : l’accompagnement des jeunes sortant.e.s de l’ASE. Nous sommes heureux que cette stratégie fasse de l’accompagnement de la sortie de l’aide sociale à l’enfance une priorité, et je tiens avant toute chose à saluer et à remercier Olivier Noblecourt et ses équipes pour leur travail. Permettez-moi aussi de saluer le travail des jeunes sur ce nouveau référentiel.

Le document de référence qui nous est présenté aujourd’hui a en effet le grand mérite de donner de la visibilité à une question à laquelle les Départements sont en prise directe depuis la décentralisation de l’aide sociale à l’enfance il y a plus de 30 ans.

C’est pour nous un signal important à condition qu’il reconnaisse ce que les acteur.rice.s de la protection de l’enfance font déjà au quotidien et que l’Etat assume les responsabilités qui sont les siennes.

La protection de l’enfance, loin d’être un « angle mort des politiques publiques » en Seine-Saint-Denis, est un champ dans lequel non seulement nous mobilisons beaucoup de moyens mais aussi où nous ne cessons de chercher l’innovation notamment pour éviter les sorties dites « sèches ».

Les chiffres sont tellement parlants :

  • 8 500 jeunes accompagné.e.s dont 5400 placé.e.s.

  • 273 millions d’euros et un budget en augmentation de 10 % cette année et qui fait de la Seine-Saint-Denis le Département qui a la plus forte dépense par habitant.e dans ce domaine.

  • Près des deux tiers des jeunes qui atteignent la majorité se voient proposer un contrat jeune majeur, soit près de 300 par an pour un budget de 20 millions d’euros. C’est inédit en France !

Si nous le faisons c’est que nous savons l’impact considérable que peut avoir une nouvelle rupture chez un.e jeune sorti.e de l’ASE. On le sait, 1/4 des SDF sont des ancien.ne.s enfants de l’ASE. Nous faisons donc tout, en Seine-Saint-Denis, pour assurer un passage à l’âge adulte dans les meilleures conditions pour les jeunes dont nous avons la responsabilité, et nous nous inscrivons à ce titre dans la plupart des recommandations inscrites dans le référentiel.

Au delà de la prévention des sorties sèches, je pourrais longuement aborder les dispositifs de l’Aide Sociale à l’Enfance qui visent à éviter les placements par des interventions intensives auprès des familles et des enfant.e.s ou à les prévenir par le développement des Services d’accueil de jour, des relais parentaux ou pour adolescents.

Ainsi, malgré la contraction perpétuelle des moyens des collectivités, nous poursuivons ici, parce que c’est notre volonté, une politique d’une ampleur peut-être inégalée.

Nous sommes là sur un sujet majeur pour la société tout entière. Tant mieux si une prise de conscience se révèle. C’est pourquoi, mieux vaut, à se stade, se parler avec franchise si l’on veut dans l’intérêt collectif progresser ensemble.

Je veux donc dire solennellement que l’Etat ne peut pas donner de leçons aux Départements quand il est lui même aux abonnés absents, dans ses compétences en particulier en Seine-Saint-Denis.

J’ai dit que je me réjouissais de cette salutaire prise de conscience vis-à-vis d’une politique qui constitue pour les Départements, et singulièrement pour la Seine-Saint-Denis, une priorité du quotidien. Cela est vrai. Mais j’ai également la désagréable impression que l’Etat semble redécouvrir aujourd’hui la protection de l’enfance qu’il a décentralisée il y a 30 ans, et sur laquelle il a fait voter deux lois en 10 ans.

L’État dit vouloir «  accompagner les Départements en termes de moyens financiers et humains ». J’applaudis des deux mains. Mais au-delà de ces belles déclarations d’intentions, reste à savoir maintenant les moyens que l’Etat entend concrètement mobiliser. Mes multiples interpellations aux différents ministres, en particulier sur la question des MNA, vont-elles enfin trouver des réponses ? Pour l’instant, nous ne sommes, en Seine-Saint-Denis, remboursés qu’à hauteur de 10 % des dépenses engagées, alors même que c’est en moyenne 15% dans le pays. La solidarité nationale repose sur les fragiles épaules de la Seine-Saint-Denis !

Je regrette que l’accueil digne de ces mineur.e.s soit passé sous les radars des annonces ministérielles. Ils / elles représentent en Seine-Saint-Denis 25% du public ASE et ils / elles ont le droit d’être protégé.e.s autant que les autres. Mais, pour cela, il faut que l’Etat assume ses responsabilités notamment au niveau du premier accueil pour évaluer leur minorité, ce qui n’a rien à voir avec une compétence de protection de l’enfance. Les manquements de l’Etat viennent fragiliser tout l’édifice. Le récent appel des juges pour enfants de Seine Saint Denis est venu nous le rappeler. Il est urgent d’agir !

Par ailleurs, les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnel.le.s qui accompagnent les jeunes sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance tiennent souvent à l’accès à l’emploi, au logement, à l’offre de soins. Cela relève pour beaucoup de compétences étatiques.

Prenons le logement. Envisagez-vous de créer des systèmes de coupe-file pour les sortants de l’ASE ? Cela serait une avancée appréciable, et une vraie manière pour l’Etat de s’engager pour faciliter le parcours de ces jeunes.

L’État envisage-t-il un accès facilité à des bourses d’étude et à un logement étudiant ?

Les Départements ne pourront pas régler seuls la question des ressources et de l’accès au logement de ces jeunes, en particulier en Ile de France où l’accès au logement autonome est rendu quasiment impossible pour les personnes disposant de faibles ressources.

En deuxième lieu, sur la question du handicap, les ressources que l’Etat entend flécher ne nous semblent pas limpides. A toutes fins utiles, il faut rappeler que les MDPH ne sont pas responsables des difficultés d’accès à l’offre médico-sociale. En revanche, un accès facilité à l’offre psychiatrique publique constituerait un vrai progrès dans le suivi des enfants et des jeunes adultes suivi.e.s par l’ASE. C’est bien là une prérogative de l’Etat, tout comme la création de places pour les jeunes porteur.se.s de handicap. Aujourd’hui, 20 à 30% des jeunes suivi.e.s en protection de l’enfance sont porteurs de handicap, en particulier psychique. L’Aide Sociale à l’Enfance souffre de l’insuffisance de l’offre d’accueil pour les familles, particulièrement en Ile-de-France.

Vous l’avez compris, nous voulons des engagements plus lisibles de l’Etat sur ces politiques, en direction de ces publics ; ils permettraient un véritable effet levier dans les parcours des jeunes accompagné.e.s par les Départements.

Enfin, je veux conclure par la belle proposition que nous avons faite il y a peu à Madame la secrétaire d’Etat.

Il n’y a pas deux semaines, une proposition de loi visant à expérimenter le revenu de base était débattue à l’Assemblée nationale, portée par 18 Départements ayant conduit des études sur leurs territoires afin de coller au plus près des attentes et des besoins sur le terrain. Le revenu de base, dispositif de protection sociale élargi aux 18–25 ans, constituerait ainsi une protection contre la précarité d’une jeunesse qui n’a aujourd’hui pas droit au RSA et peut se retrouver sans le sou, sans toit, sans travail. C’est également une réponse pour les jeunes de l’ASE.

Optimiste résolu, je profite donc de la présence de plusieurs ministres pour porter à nouveau aujourd’hui cette proposition, qui je le crois peut répondre à un grand nombre de problèmes.

Je suis convaincu, qu’avec de la détermination et de la volonté politique, nous pouvons, ensemble, sortir la protection de l’enfance des coups de projecteurs négatifs qu’elle subit ces derniers temps pour faire de cette politique publique un grand levier d’intégration, de lutte contre la pauvreté et d’égalité pour tou.te.s les enfants de la République.

Je vous remercie.