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Si nous sommes en guerre, ne nous trompons pas d’ennemi (Libération)

Publié le lundi 11 avril 2016

Par Rachid Laïreche — 10 avril 2016 à 20:01
Interview en ligne sur Liberation.fr

« Le président du conseil général de la Seine-Saint-Denis défend son département. Sans nier les difficultés, il fait valoir que le « 93 » est aussi et surtout une force pour la France. »

Libération – Le ministre de la Ville, Patrick Kanner, a parlé des « Molenbeek français », comment avez-vous réagi ?
Cela m’a agacé : il faut arrêter les petites phrases qui font le buzz et se mettre au travail pour agir juste. Le danger avec les généralisations excessives, c’est de réduire la banlieue à des problèmes qui, certes, existent, mais qui sont loin de la résumer. Le ministre de la Ville ne peut pas participer à la caricature.

Libération – Certaines villes du département sont visées, comme Saint-Denis ou Sevran. On parle de radicalisme, de communautarisme
Quand la France a des problèmes, elle pointe ses banlieues du doigt au lieu de voir leur potentiel. En pointant du doigt pour exclure, on contribue en réalité à développer du communautarisme. Si nous sommes en guerre, ne nous trompons pas d’ennemi. Faire des raccourcis associant quartiers populaires et jihadisme est à la fois faux, dangereux et hasardeux. Les communautarismes fonctionnent comme le vote FN : ils ne prospèrent que dans les failles du système républicain.

Libération – A quoi ressemble la vie dans ces villes ?
Rude et tendre à la fois, elle ressemble à la vie de la France d’aujourd’hui, parce que tout simplement c’est la France. La Seine-Saint-Denis change. La vie dans les quartiers populaires, ce ne sont pas que le chômage et les trafics. C’est un vrai bouillonnement, une énergie incroyable, une envie de réussir. Ici, on construit chaque jour la France de demain. Qui sait qu’ici se trouvent la plupart des entreprises innovantes, un tiers des futures gares du Grand Paris, une vitalité artistique comme nulle part ailleurs ?

Libération – Quel est l’état d’esprit des habitants de Seine-Saint-Denis ?
Il y a à la fois de la radicalité, de la rage dans certains comportements, et des formes de résignation et d’indifférence. C’est aussi ce qu’on retrouve quand on voit les taux d’abstention record. Surtout, ce qui est insupportable, c’est de ne pas entendre ce besoin de reconnaissance, de confiance que le pays doit envoyer aux habitants, aux jeunes des quartiers populaires. La vitalité démographique, la créativité, elle est dans ces quartiers.

Certains départements se demandent quoi faire de leurs collèges qui se vident. Je dois en ouvrir un de plus à chaque rentrée scolaire. Ce n’est pas une difficulté, c’est un atout dans un pays qui vieillit.

Libération – Depuis que la gauche est au pouvoir, la vie a-t-elle changé pour les élus locaux de banlieue ?
Elle a changé dans la manière dont on est écouté. Sous Sarkozy, les banlieues n’étaient clairement pas une priorité, sauf pour parler de Kärcher. Maintenant, une fois qu’on nous a écoutés, il faut aussi pouvoir agir et nous en donner les moyens. Il y a eu clairement des efforts sur le recrutement et la formation des enseignants. Quand on reprend notre demande en ouvrant un concours spécifique pour recruter des professeurs en Seine-Saint-Denis par exemple. Il y a encore beaucoup à faire pour répondre aux urgences, mais aussi pour ouvrir le champ des possibles. J’aimerais autant de classes bilangues qu’à Paris par exemple. Même chose sur la politique de la ville : la réforme de la géographie prioritaire qui permet de concentrer les moyens et de sortir du saupoudrage est une bonne chose. Il y a clairement deux aspects où l’attente est forte : la sécurité quotidienne et surtout l’emploi.

Libération – En 2015, Manuel Valls a parlé « d’apartheid », vous étiez d’accord ?
Je n’aurais pas employé cette expression mais elle avait le mérite de dénoncer le risque de voir s’enkyster des ghettos de riches et des ghettos de pauvres. Et on ne supprimera pas les ghettos de pauvreté si perdurent les ghettos de riches. Regardez la jacquerie des bourgeois du XVIe arrondissement pour refuser un centre d’accueil des SDF ou la tentative de fusion des Hauts-de-Seine et des Yvelines pour bunkeriser le coffre-fort. Le danger qui mine l’Ile-de-France et la France, c’est cet entre-soi. Cela vaut pour les communautarismes religieux, mais aussi pour le communautarisme par l’argent.

Par Rachid Laïreche