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Adoption de la loi « Protection des enfants » : gouvernement et Parlement ne vont pas assez loin !

Publié le mardi 25 janvier 2022

Aujourd’hui, l’Assemblée nationale votera pour adopter définitivement le projet de loi relatif à la protection des enfants. Si certaines mesures sont intéressantes et vont dans le bon sens, je considère, au regard notamment des enjeux, que cette loi ne propose pas la réforme globale dont aurait besoin ce secteur de la protection de l’enfance.

Près de 340 000 enfants sont actuellement suivi·e·s en France par l’Aide Sociale à l’Enfance, dont 9 300 en Seine-Saint-Denis. Au-delà des chiffres, la protection de l’enfance est dans notre pays un enjeu majeur, sur lequel il était urgent de légiférer. Je veux donc avant toute chose saluer l’initiative de cette loi, de même que plusieurs mesures très pertinentes qu’elle propose. Je pense à la non-séparation des fratries, à la recherche systématique de la possibilité de confier l’enfant à une personne de son entourage avant le placement, ou encore au contrôle régulier des casiers judiciaires des professionnel·le·s.

Mais les avancées proposées sont insuffisantes, au regard de ce qui avait été annoncé comme une grande loi structurante en faveur des enfants à protéger. De fait, les Départements les plus actifs sur le sujet de la protection de l’enfance proposent souvent déjà un cadre plus sécurisant pour les enfants. C’est le cas en Seine-Saint-Denis, où nous nous sommes engagé·e·s pour la revalorisation du salaire des assistants et assistantes familiales, le déploiement du parrainage de proximité, la mise en œuvre du droit au retour pour les jeunes sorti·e·s du dispositif de l’ASE, ou encore la résorption progressive de l’hébergement hôtelier.

A titre d’exemple, je déplore aussi que la mesure proposée dans le projet de loi visant à interdire les sorties « sèches » à 18 ans n’aille pas au bout de sa logique. Il est tout à fait pertinent d’obliger les Départements à proposer un accompagnement aux jeunes arrivant à la majorité et ne disposant pas des ressources et du soutien familial nécessaire à leur autonomie. C’est pourquoi, en Seine-Saint-Denis, nous proposons de manière quasi-systématique des « contrats jeunes majeur·e·s » aux jeunes arrivant à leur majorité.  Mais, pour que cette mesure soit vraiment pertinente, il aurait fallu poser des garanties claires et fermes en termes de durée comme de nature de cet accompagnement. Il est ainsi prévu de donner accès de manière systématique au contrat d’engagement jeune – nouvelle version de la garantie jeune assurée par les Missions locales – aux jeunes sortant·e·s de l’Aide Sociale à l’Enfance, un accompagnement à l’insertion ne peut pas se substituer à l’accompagnement socio-éducatif proposé dans le cadre d’un contrat jeune majeur·e.

Je m’étonne par ailleurs que plusieurs sujets centraux au vu de la situation actuelle de la protection de l’enfance ne soient pas abordés. Je pense à la santé mentale des enfants confié·e·s, ou aux conditions d’exercice des travailleurs sociaux et travailleuses sociales dont le métier traverse une crise d’attractivité sans précédent.

Enfin, je m’inquiète tout particulièrement du recours au fichage dit « AEM » pour les mineur·e·s isolé·e·s étranger·e·s que la loi prévoit d’entériner. J’ai déjà affirmé à de nombreuses reprises mon refus d’utiliser ce fichier qui, sous prétexte de mieux accompagner les jeunes, vise en réalité à faciliter leur expulsion en dehors de nos frontières. Il place les jeunes dans une situation de potentiel·le·s suspect·e·s, alors que ce sont des enfants à protéger et que le prétendu nomadisme des jeunes contre lequel ce fichier permettrait de lutter n’a jamais été réellement objectivé.

Alors que cette loi propose nombre de nouvelles obligations pour les Départements, le rôle de l’Etat, pourtant central en matière d’accès à la santé, à l’éducation ou au logement, n’est lui que peu questionné. C’est un problème majeur que j’ai soulevé à de nombreuses reprises au sein des groupes de travail préparatifs de ce texte de loi, en plaidant pour que les enfants de l’Aide Sociale à l’Enfance accèdent en priorité au droit commun. Il en est de même pour les enfants confié·e·s en situation de handicap, pour lesquels le manque de places en structures adaptées est un problème constant. Je regrette que ce sujet ne soit pas ici soulevé tant on sait qu’il pèse sur la capacité de ces jeunes à s’intégrer dans notre société.

Je regrette également qu’en parallèle de ces nouvelles obligations faites aux Départements, aucune prévision de soutien financier de l’État n’ait été faite, ou alors de manière très insuffisante. Sur l’accompagnement des jeunes majeur·e·s par exemple, le Secrétaire d’État a annoncé l’octroi de 50 millions d’euros pour l’ensemble des départements. Uniquement en Seine-Saint-Denis, le budget consacré à l’Aide Sociale à l’Enfance est de 300 millions d’euros par an, soit 6 fois plus. De même, comment mettre en œuvre l’interdiction des hébergements hôteliers pour les mineur·e·s, qui est évidemment une bonne mesure, sans pour autant assurer aux Départements des moyens financiers suffisants pour créer des alternatives à l’hôtel ?

Nous nous retrouvons donc une fois de plus avec cette loi dans ce modèle contre-productif ou l’Etat décide, est dans l’incantation, mais ne balaye pas devant sa propre porte, obligeant les Départements à exécuter toujours plus de mesures pour lesquelles ils doivent trouver eux-mêmes les moyens financiers de leur mise en œuvre.

Louable sur le principe, ce projet de loi m’apparaît donc finalement bien incomplet et insuffisant au regard des enjeux et des avancées dont le secteur de la protection de l’enfance a besoin. Sur ce sujet crucial, le gouvernement et la majorité LREM restent une nouvelle fois au milieu du gué, du fait d’arbitrages budgétaires défavorables et de méthodes résolument contestables.