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Le « cas » Benalla : pas un scandale, une affaire d’État

Publié le vendredi 3 août 2018

Même le son des vagues et le chant des grillons ne permettent à aucun vacancier d’y échapper : le cas, l’affaire, le scandale Benalla, est couvert par toutes les rédactions, à tel point que certains commencent à crier merci.

De rebondissement en rebondissement, cette histoire est décidément le feuilleton de l’été, dans lequel s’engouffrent – à raison – tous les opposants à la macronie pour critiquer les dérives individuelles et collectives du pouvoir.

Sachons raison garder : Emmanuel Macron n’est pas plus un despote assoiffé de violence qu’il n’est d’ailleurs le sauveur miraculeux que beaucoup nous avaient présenté comme tel. Par contre, et comme d’autres l’ont déjà dit avant moi, sa pratique du pouvoir agit comme un révélateur des failles et des dangers inhérents à notre système politique.

Comment accepter, dans une démocratie d’aujourd’hui, que notre régime présidentiel génère tant de mythologie royale et de phénomènes de cour qu’un chargé de mission de l’Elysée se trouve auréolé, par sa simple proximité du président, d’une once de pouvoir disproportionnée mais bien réelle ?

Si l’affaire Benalla est bien, au sens propre, une affaire d’État, c’est parce qu’elle interroge le fonctionnement-même de nos institutions. Au sommet, Emmanuel Macron les expérimente à l’extrême, usant voire abusant des prérogatives qui lui sont confiées jusqu’à mettre en lumière tout ce que les citoyens abhorrent dans le politique, en contribuant à la crise démocratique.

Les problèmes mis en lumière par l’affaire Benalla sont immenses et leurs racines, profondes. Qui, du président de la République ou du Premier ministre, a finalement autorité sur les services de police ? Comment se fait-il que seule une des deux têtes de notre exécutif bicéphale – et pas la plus importante dans l’ordre républicain – soit responsable devant le Parlement et risque la destitution ?

Depuis des décennies que nous nous posons ces questions démocratiques essentielles, nous ne sommes pas en mesure de les régler, et ce n’est pas la réforme cosmétique de la Constitution par Nicolas Sarkozy en 2008 qui aura permis de rééquilibrer les choses. Un Parlement trop faible, dont on veut encore limiter le droit d’amendement ; des corps intermédiaires évincés, auxquels on donne l’illusion qu’ils ont une capacité de décision ; des citoyens qui ne peuvent s’exprimer que tous les cinq ans, avec dans l’intervalle un blanc-seing pour agir – y compris en dehors des programmes électoraux…

Longue est la liste des déçus de la Vème République, et elle ne cesse de s’allonger. Néanmoins, si on voulait y voir un aspect positif, on pourrait dire que l’affaire Benalla nous donne l’occasion de réfléchir à la transformation profonde de notre système politique, aujourd’hui déconnecté des aspirations de nos concitoyens.

Les idées ne manquent pas pour – enfin – passer de la parole aux actes en assainissant et en rééquilibrant nos institutions : limitation à un septennat présidentiel, suppression de l’article 49–3 de la Constitution et du droit de dissolution de l’Assemblée nationale, renforcement des pouvoirs de contrôle et d’évaluation du Parlement, mise en place d’un ordre du jour véritablement partagé entre l’exécutif et le législatif…

L’exercice solitaire du pouvoir est aujourd’hui une aberration et nos institutions doivent aussi se mettre à l’heure du numérique, de la démocratie locale, de la démocratie participative. Au non de « l’incarnation » qui aurait manqué à certains présidents – ou candidats – avant lui, Emmanuel Macron utilise tout ce que lui permet la Vème République. Mais tout ceci n’a rien de moderne. La modernité, c’est de s’adapter aux évolutions de la société. Or les nouveaux modes de mobilisation et d’engagement citoyen – pétitions en ligne, réseaux sociaux, actions locales – remettent en question les fondements mêmes de notre système politique.

Voilà les vraies questions que les débats autour du projet de réforme des institutions auraient dû permettre d’aborder, si son examen au Parlement n’avait pas été précisément interrompu par l’affaire Benalla. Le serpent se mord la queue, et nous assistons, impuissants, à ce spectacle désolant.

Nous avons cependant vu comme un signe d’espoir cette motion de censure déposée par l’ensemble de la gauche, qui s’est enfin montrée à la hauteur dans ce moment de doute et de possible réinvention pour notre démocratie. Bien qu’affaiblie, la gauche peut et doit se nourrir des apports de cette société mobilisée qui fait irruption dans la vie publique, et qui se montre plutôt solidaire et inventive, en prônant un autre modèle de société, solidaire avec les réfugiés, soucieuse des questions environnementales, engagée contre les inégalités.