arton

Partagez cet article sur les réseaux sociaux

Une nécropole mésolithique en Seine-Saint-Denis : une découverte exceptionnelle du service public départemental

Publié le mercredi 7 octobre 2015

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 05.10.2015 à 15h13 • Mis à jour le 06.10.2015 à 09h19 | Par Nathaniel Herzberg

Posé dans la grande main de Claude Héron, le « matériel » ne paie pas de mine. Quelques fragments osseux, maintenus ensemble par du ruban adhésif. Et encore : le vieux puzzle à la propreté douteuse ne dispose même pas de toutes ses pièces. Pourtant, c’est bien une découverte majeure que manie, avec un soin extrême, le chef du bureau du patrimoine archéologique de Seine-Saint-Denis : l’arrière de la calotte crânienne d’un squelette de la période mésolithique, trouvé sur la Haute-Ile, à Neuilly-sur-Marne. Le scientifique le dit sans détour : « Le site mis au jour est exceptionnel. Et il a encore beaucoup de secrets à nous livrer. Nous ne sommes qu’au début de l’aventure. »

Comme souvent, c’est au dernier jour d’une campagne programmée en juillet et août que la pépite est apparue. « Un jeune faisait des vérifications dans un endroit où l’on ne trouvait rien, raconte Gabrielle Bosset, archéologue rattachée à l’université Paris-I, coordinatrice du site depuis trois ans. Plus personne ne voulait creuser là, lui avait accepté… Il m’a appelée. Un truc bizarre, disait-il. En arrivant, j’ai tout de suite compris. On a eu juste le temps de sortir le crâne. Pas vraiment de le fêter. Mais c’est formidable : ça valide ce qu’on a toujours dit. Qu’il s’agit bien d’une nécropole. Avec quatre sépultures, il n’y a plus aucun doute. C’est même la plus importante en France après les îles bretonnes de Hœdic et Téviec. »

Avant l’apparition de l’agriculture et de l’élevage

Pour comprendre son enthousias­me, un petit retour en arrière de quelques milliers d’années s’impose. Le mésolithique représente la dernière période avant l’apparition de l’agriculture et de l’élevage. Jusque-là, les habitants de nos contrées vivaient de chasse et de cueillette. Et puis des immigrés venus du Sud et de l’Est (déjà !) ont apporté leurs savoirs : l’agriculture et l’élevage. Bienvenue dans le Néolithique. Dans le sud de la France, ce fut vers 6 000 avant J.-C. ; en Ile-de-France, autour de – 5 200 ; en Bretagne, vers – 4 500. L’homme s’est sédentarisé, l’habitat s’est structuré.

Rien de tel au mésolithique. Les groupements de sépultures sont donc beaucoup plus rares. D’autant que, par rapport à la période paléolithique précédente, le climat s’est réchauffé, la forêt a envahi le pays. « Les sédiments ne fixent plus les niveaux comme avant. Les sols, les racines, les vers font tout bouger. Pour nous, archéologues, le matériel est beaucoup plus rare, et plus difficile à interpréter », souligne Gabrielle Bosset, spécialiste de cette période.

Ailleurs en Europe, des regroupements mésolithiques importants ont pourtant été mis au jour. Plus de 300 corps rassemblés sur la côte portugaise, une cinquantaine dans une grotte au Royaume-Uni, et quelques dizaines, chaque fois, sur des sites en Espagne, au Danemark, aux Pays-Bas… La France restait donc à la traîne, puisque, hormis Téviec (10 squelettes) et Hœdic (9), aucune nécropole de plus de trois corps n’avait été exhumée.

Une histoire de fous

Le hasard et la vie d’un site ont voulu que la découverte survienne en Seine-Saint-Denis. Une histoire de fous, en vérité. En 1868, un an après l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, ouvre à Neuilly-sur-Marne l’asile de Ville-Evrard. Sur l’immense terrain, 65 hectares, pris entre la boucle de la Marne et le canal, ont été réservés à des petits ­travaux agricoles à fonction thérapeutique. C’est la Haute-Ile. « Des terres miraculeusement préservées de l’urbanisation et de l’agriculture intensive pendant plus d’un siècle », souligne Etienne Bonnet-Candé, chef du service du patrimoine culturel du département. Début 1990, l’Assistance publique les vend au conseil général, qui envisage d’y construire une grande base de loisirs. Mais ­l’opposition des riverains puis un diagnostic archéologique qui aboutit à la découverte, en 2001, d’une première sépulture sonnent le glas du projet. Devenu parc paysager, le site accueille désormais un « archéosite » éducatif.

C’est qu’entre-temps trois nouvelles sépultures ont été retrouvées, portant le total à quatre, distantes de moins de 15 mètres. Les trois premières ont été datées : elles s’échelonnent entre 6700 et 6200 av. J.-C. Un hasard ? « C’est exclu, assure Claude Héron. Les aires sépulcrales sont tellement investies ­culturellement et émotionnellement que leur mémoire ne se perd pas comme ça.  » D’autant que les corps y étaient placés dans la même position : ­accroupis, le crâne reposant sur les genoux, et sans parures. Pas dans un cercueil, où les os se seraient écroulés après la décomposition des chairs et du bois. « Plutôt serrés dans un ­linceul, qui a évidemment disparu depuis  », précise Claude Héron. « Et je suis convaincue qu’on va retrouver le quatrième dans la même situation, avec une datation comparable  », ajoute ­Gabrielle Bosset.

Des opérations restent à faire. Vérifier l’âge des os au carbone-14, conduire les examens ADN pour tenter d’observer la généalogie et la typologie des individus, mener des analyses de parasitologie pour déterminer leur alimentation ou d’éventuelles maladies. Et libérer le reste du corps de la couche de calcin – une sorte de ciment naturel – qui l’enserre. Sauf que, faute de crédits, il faudra attendre janvier 2016 pour commencer les analyses. Quant à la prochaine campagne de fouilles, elle commencera en 2017, annonce Stéphane Troussel, le président du Conseil général, tout à son bonheur de «  souligner la réussite du service public départemental  ».

Quinze mois d’attente, donc. Le temps de se préparer au feu d’artifice. Car les archéologues en sont persuadés : d’autres merveilles se cachent dans le sud de la zone. D’autres corps. « Cinq, quinze, cent… je n’en sais rien, admet Gabrielle Bosset. Mais chaque fois qu’on a fouillé quelques dizaines de mètres carrés, on en a trouvé un. » Il reste 3 400 mètres carrés à explorer. Les paris sont ouverts.

En savoir plus sur : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/10/05/une-necropole-mesolithique-en-seine-saint-denis_4782794_1650684.html#c7DvB3aMsjdiIPwL.99