Partagez cet article sur les réseaux sociaux

Inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution est une faute et un leurre

Publié le mercredi 30 décembre 2015

> Tribune publiée dans Libération

En renvoyant les terroristes à leur potentielle autre nationalité, la France s’exonère aisément de ses propres responsabilités, de ses propres difficultés à détecter les profils à risque, et à les empêcher de commettre des actes terroristes.

838422-decheancenatio3jpg
La révision constitutionnelle présentée par le gouvernement vise à étendre la déchéance aux « binationaux nés Français » auteurs de « crimes contre la vie de la nation ». Photo Christophe Maout

L’inscription dans notre Constitution de la possibilité de déchoir de la nationalité française un binational qui se serait rendu coupable d’acte de terrorisme en France est une faute que nous dénonçons.

D’abord, cette mesure est inefficace. Elle ne permettra en rien d’empêcher les actes de terrorisme sur notre sol. Elle entraînera la France dans des négociations diplomatiques sans fin avec les pays dont seraient également ressortissants des personnes jugées coupables de terrorisme. Que faire d’un Franco-Belge condamné en France pour des actes de terrorisme et déchu de sa nationalité française ? La France accepterait-elle par réciprocité d’accueillir un Franco-Tunisien qui aurait commis un crime terroriste en Tunisie et qui serait déchu de sa nationalité tunisienne ? Cela n’a aucun sens, ne permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme, et alors que les pays confrontés au terrorisme doivent collaborer pour mieux lutter contre la menace, une telle mesure ne fera que compliquer les relations entre ces pays.

D’autre part, et c’est plus grave, cette mesure est une atteinte grave aux valeurs de la République. Ces valeurs mêmes que nous devons défendre face à des terroristes qui ont remis en cause la liberté d’expression, et qui se sont attaqué à la France libre, jeune, cosmopolite et métissée.

Cette mesure revient à inscrire dans notre Constitution, dans le socle de notre fonctionnement démocratique, une distinction entre deux catégories de Français. Les binationaux, nés français et titulaires d’une autre nationalité, ne seraient pas égaux aux autres Français face à la justice. Cela entretient inutilement dans un contexte déjà délétère la suspicion sur tous ceux qui auraient des origines étrangères et qui souhaitent conserver des attaches avec cet autre pays. La déchéance de nationalité porte en elle le retour de la division et permet à une extrême droite en embuscade de crier victoire. Elle donne corps à la théorie chère à l’extrême-droite de l’opposition entre Français dits « de souche » et Français dits « de papier ». Si cette mesure est un symbole, il n’atteindra pas des terroristes qui n’en trouveront sans doute que plus de gloire dans leur folie, mais il divisera une société française déjà fragile.

Enfin, c’est une mesure qui par son apparente facilité nous évite de nous poser les bonnes questions. Pourquoi un jeune, qui est né en France, qui est allé à l’Ecole de la République, qui a peut-être suivi des études supérieures, qui a été élevé par ses parents dans le respect des valeurs républicaines, qui a un travail bascule dans le terrorisme le plus haineux et prend les armes contre ses compatriotes ? Comprendre n’est pas excuser, comprendre c’est au contraire se donner les moyens d’agir efficacement pour empêcher des jeunes de dériver jusqu’au point le plus grave. En renvoyant les terroristes à leur potentielle autre nationalité, la France s’exonère aisément de ses propres responsabilités, de ses propres difficultés à détecter les profils à risque, et à les empêcher de commettre des actes terroristes.

Nous qui sommes élus d’un territoire directement frappé par les actes terroristes et qui est riche de sa diversité, nous disons notre volonté de lutter sans merci contre la menace terroriste, mais nous sommes résolument opposés à l’inscription de la déchéance de nationalité pour les binationaux dans la Constitution. Nous sommes déterminés à ne pas laisser faire ce qui nous semble être une faute qui divise la France en attentant aux principes fondateurs hérités de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Stéphane Troussel Président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Mathieu Hanotin député PS de Seine-Saint-Denis